Réforme des retraites : un passage en force pour aller où ?
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Un article de la CGT Fonction publique (télécharger le document)
Après la publication du rapport Moreau le 14 juin, on ne peut pas dire que la Conférence sociale des 20 et 21 juin ait clarifié les projets gouvernementaux concernant les retraites.
Dans son discours de clôture, le premier ministre a évacué le sujet en quelques lignes :
« … La réforme, nous la construirons dans le respect des principes de continuité et de justice, et après une concertation que je veux dense, riche et sincère.(…) A l’issue de cette concertation, au mois de septembre, le gouvernement prendra ses décisions, en responsabilité… »
Une méthode anti-démocratique
Seules deux choses sont claires :
- Le « respect du principe de continuité », c’est de refuser de revenir sur les réformes décidées par la droite au pouvoir.
- La « concertation dense, riche et sincère » relève au mieux du registre des paroles verbales, au pire du maquillage politicien de la vérité.
Quatre ou cinq semaines de concertation pour une réforme des retraites est une pure mascarade….. Ce dont il s’agit c’est surtout de ne pas être en situation de négociation. Faire rédiger un projet de loi au mois d’août, prévoir quelques semaines de présentation du projet de loi en septembre, et le déposer fin septembre pour une application au 1er janvier 2014,relève de la même logique : passer en force et fuir le débat.
Face à une telle méthode d’exclusion des salariés des enjeux qui les concernent, la seule réponse doit être la mobilisation, et ce dès la mi septembre !
La fausse urgence d’une réforme en 2013
Le rapport Moreau, comme les deux rapports du COR de décembre 2012 et janvier 2013, qui ont préparé ses travaux, confortent paradoxalement l’analyse de la CGT.
Les réformes des retraites de 1993 à 2010 ont eu un effet si violent sur le niveau prévisible des pensions, que leurs conséquences sur la dépense globale pour les retraites serait de 6 points de PIB en 2050, soit une des plus importantes réforme en Europe. A l’horizon 2040-2060, dans le scénario central du COR, 15% du PIB serait consacré aux retraites (14% aujourd’hui), et le déficit du système serait de 1 point de PIB, ce qui n’a rien d’abyssal vu les incertitudes de ces projections. Une hypothèse de meilleure croissance et de moindre chômage rendrait le système excédentaire à cet horizon.
Le déficit actuel(20milliards prévu en 2020) n’est dû qu’à la crise et à l’austérité, et pas à la nécessité absolue d’une réforme, car cette nécessité financière n’existe pas à plus long terme, avec les paramètres dégradés d’aujourd’hui. C’est boucher temporairement les trous financiers dus au
chômage et au sous-emploi qui est incontournable.
Si au lieu de simples mesures budgétaires c’est une véritable réforme qui est entamée, c’est qu’elle est l’occasion de poursuivre d’autres buts.
L’objectif du rapport Moreau : piloter le système des retraites
Ce qui structure ce rapport, c’est l’idée que le système des retraites en France doit être piloté de façon continue,sans plus de grands rendez-vous de réforme, qui sont l’occasion de grandes mobilisations sociales.
La proposition essentielle de ce rapport, c’est de piloter le système de retraite, tous régimes confondus, en jouant sur l’indexation sur l’inflation des retraites, celles en cours de versements et les retraites futures.
On modifierait l’indexation des salaires « portés au compte » dans le calcul des 25 meilleures années. Le salaire d’il y a 20 ans par exemple est revalorisé par la CNAV du montant de l’inflation depuis 20 ans, de façon à pouvoir calculer, pour définir le niveau de pension, le « salaire annuel moyen » à partir de 25 salaires annuels, en euros constants de l’année de départ en retraite.
Une simple circulaire interministérielle permettrait chaque année de faire varier du même chiffre, au niveau de l’inflation, sous l’inflation, voire au dessus (si, c’est écrit !), les retraites actuelles et futures, en fonction des prévisions de déficit global et du niveau de la croissance attendue.
C’est très exactement la même logique que la variation de la valeur de service du point dans un régime par points, ou que la modification du coefficient de conversion dans un régime à comptes notionnels, deux variables qui évoluent chaque année par décision de l’instance de pilotage (le C.A en général).
La commission propose que ce soit bien sûr un comité d’experts, “de pilotage des retraites”, qui définisse le montant de la revalorisation annuelle des retraites versées et des “salaires portés au compte”, sur des critères purement techniques. Les dégâts du mode de gouvernance de la bureaucratie de Bruxelles s’étendent : il faut fixer des critères automatiques, à partir desquels les techniciens élaborent des décisions que les politiques sont en charge d’appliquer.
Cette logique permet de piloter tous les régimes comme s’ils étaient déjà unifiés dans un régime unique, ce qui permet à la fois de ne pas le mettre en place tout de suite, et de préparer son avènement futur.
Baisser la retraite des fonctionnaires pour baisser toutes les retraites
C’est pour cela que la proposition du rapport Moreau de passer à un calcul de la retraite des fonctionnaires sur 10 ans était couplée avec une proposition de la calculer sur un salaire porté au compte, et plus sur l’indice détenu.
Les précédentes tentatives de ne plus calculer sur 6 mois proposait de prendre l’indice moyen détenu pendant les dernières années, en particulier pour éviter l’effet budgétaire des promotions “coup de chapeau” des retraitables. En 2003 c’était les quatre dernières années qui étaient envisagées, et rien n’exclut que ce type de mesures soit de nouveau proposé.
Mais le rapport Moreau envisage d’intégrer un part de primes dans le calcul, 5 à 10%, et de calculer une rémunération additionnant indiciaire et primes pendant les 10 dernières années. C’est ce montant qui serait revalorisé, comme un “salaire porté au compte”, au moment du calcul de la retraite. La sous-indexation sous l’inflation du salaire porté au compte pourrait ainsi s’appliquer et au privé et au public.
L’objectif est clairement de baisser la pension des fonctionnaires pour baisser la pension de tous les salariés.
Une telle décision signifierait que le point d’indice n’est définitivement plus la référence pour fixer la reconnaissance de la qualification des fonctionnaires, et que les primes seraient des éléments ordinaires de rémunération. Ce qui serait la fin de fait de toute idée de grille indiciaire transversale à toute la fonction publique, et la voie ouverte pour une fonction publique de métier.
Aller vite pour éviter la mobilisation
La 1ère réunion lançant la concertation sur les retraites est fixée au 4 juillet. On peut penser que le gouvernement abandonnera l’idée de passer à un calcul des retraites des fonctionnaires sur 10 ans.
Il n’en reste pas moins que son objectif est de faire baisser les pensions versées aux retraités, par une fiscalisation alourdie et une désindexation de l’inflation.
Concernant les fonctionnaires, le rapport de la Cour des comptes du 27 juin sur les finances publiques trace une feuille de route claire : il ne peut y avoir de baisse de lamasse salariale de l’Etat s’il n’y a pas de baisse du coût des pensions.
Les fonctionnaires risquent de subir non seulement les effets d’un allongement de la durée d’assurance, mais aussi de mesures plus spécifiques. Les droits familiaux et conjugaux, comme les majorations de pensions des parents de 3 enfants et plus ou les conditions d’attribution de la pension de réversion, pourraient être remis en cause, en lien avec des évolutions parallèles dans le privé. Concernant les bonifications, le rapport Moreau les cite avec prudence mais sans ambiguïté, ce qui peut laisser penser à une remise en cause potentielle des bonifications hors d’Europe par exemple ou des bonifications reconnaissant la pénibilité dans la Fonction publique.
Mais seule l’entrée en « concertation » permettra de connaître les intentions du gouvernement, qui veut sans aucun doute aller le plus vite possible pour éviter toute dynamique de mobilisation.
Les propositions de la CGT
La CGT considère que la logique en œuvre, qui n’a pour objectif que de piloter l’équilibre financier en contenant les dépenses, débouche sur une impasse.
Accroître la part de PIB consacrée aux retraites n’a rien d’un drame, ces revenus étant, comme les salaires, immédiatement réinjectés dans l’économie.
Passer en trente ans de 14% aujourd’hui à 18 ou 20 % d’un PIB ayant doublé en 2050 est parfaitement réaliste.
Il est certain que si on ne met pas fin au sous-emploi et à une politique d’échec du développement économique, le financement de retraites comme d’une protection sociale d’un bon niveau ne sera pas envisageable à terme.
Ce n’est pas d’un accompagnement des politiques d’austérité dont nous avons besoin, mais d’une politique de sortie de crise par la relance de l’emploi et des salaires.
C’est pourquoi la CGT propose de réformer le financement de la protection sociale en tenant compte des politiques d’emploi des entreprises par une modulation des cotisations. De la même façon, la taxation des revenus financiers improductifs a pour objectif de réduire le “coût du capital”, alors qu’aujourd’hui on s’enfonce dans la crise en cherchant à réduire le “coût du travail”.
Concernant le pilotage du système de retraite, la CGT considère qu’il doit se faire au sein d’une maison commune des régimes de retraite,se donnant des objectifs communs, en tout premier lieu celui d’un taux de remplacement du salaire d’activité de 75%. Les organisations syndicales devraient avoir un rôle essentiel dans cette coordination.
Un pilotage démocratique construisant des solidarités, c’est l’inverse d’un pilotage anti-démocratique par des règles automatiques, déterminées par des experts.
La CGT n’est pas favorable à des fusions de régimes qui n’ont pas de sens, le calcul des droits à retraite des fonctionnaires, qui ont une grille de carrière et ne subissent ni chômage, ni temps partiel contraint, ne pouvant être le même que celui des salariés du privé.
Par contre la CGT est tout à fait favorable à des rapprochements par le haut entre régimes public et privé. Par exemple la CGT revendique des départs anticipés dans le privé pour les salariés subissant une pénibilité qui raccourcit la vie en bonne santé et la vie tout court, comme dans le public.
La CGT revendique aussi que dans le public la reconnaissance de la pénibilité (le service actif)soit fondée sur des critères de pénibilité proches de ceux du privé. Pour quelle raisons les ouvriers des routes ou le personnel soignant du privé n’auraient aucun dispositif de départ anticipé, quand ceux qui sont fonctionnaires l’ont ?
La justice entre privé et public, c’est le contraire de toujours moins pour le public et toujours moins pour le privé.
Face à un pouvoir qui veut passer en force pour aller vers plus d’austérité, vers une baisse des pensions et des salaires, donc de l’emploi, il est nécessaire de mettre en mouvement l’ensemble des salariés et des retraités,fonctionnaires au premier rang.
C’est pourquoi la CGT appelle à l’action dès la deuxième semaine de septembre !