Souffrance au travail dans l’Éducation nationale - S’organiser pour résister
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Souffrance, souffrances au travail
Un rapport du sénat de juin 2012 dresse un constat préoccupant de la santé psychologique des enseignants et du climat de travail dans les établissements scolaires : « crise du travail enseignant » ; « souffrance ordinaire au travail […] largement tue et invisible » ; « solitude bien réelle des enseignants » ; « sentiment d’impuissance », « découragement », etc. Plusieurs enquêtes donnent la mesure de cette souffrance au travail :
- dans un quart des établissements scolaires, moins de 25 % des personnels jugent l’ambiance de travail favorable ;
- 28 % des personnels pensent souvent quitter leur travail auxquels s’ajoutent 16 % d’indécis ;
- 39 % estiment ne pas avoir les compétences nécessaires pour faire face à l’essentiel des problèmes de comportement des élèves ;
- 24 % des personnels de l’Éducation nationale sont en état de tension au travail et 14 % sont en situation d’épuisement professionnel ou burn out (par comparaison, 12 % des cadres seulement se déclarent tendus).
Les cas de harcèlement moral connaissent par ailleurs une hausse sensible, relevée par la Fédération des Autonomes de Solidarité. De 210 signalements sur l’année 2008-2009, on est passé à 286 en 2009-2010 et à 335 en 2010-2011.
Plus dramatique, la souffrance de certains de nos collègues les pousse parfois à l’irréparable, comme vient le rappeler le récent suicide de notre collègue enseignant de STI2D dans l’académie d’Aix-Marseille. Une étude de l’INSERM de 2002 indiquait déjà un taux de 39 suicides pour 100 000 enseignant(e)s contre une moyenne de 16,2 pour l’ensemble des autres professions.
Enfin, la souffrance au travail prend des formes en apparence plus anodines mais particulièrement répandues : découragement, cynisme, résignation, repli sur soi-même…
Pourquoi ça coince ?
Travailler avec des classes surchargées, se démener pour aider des élèves en difficulté scolaire ou comportementale, dans un contexte de crise de l’économie capitaliste, de chômage de masse, d’inégalités sociales et scolaires criantes, de rejet de l’institution scolaire, tout cela rend souvent l’exercice du métier très difficile voire impossible, nous le savons tous.
Mais certaines évolutions du métier aggravent la souffrance au travail. Ainsi, les relations avec les directions d’établissement ou les corps d’inspection sont souvent tendues comme l’indique le rapport du sénat mentionné plus haut, lequel pointe « l’inflation des conflits avec la hiérarchie ». La manière dont sont recrutés et formés les personnels de direction et d’encadrement se traduit par un « durcissement du management » : trop souvent coupés du terrain, guidés par des objectifs chiffrés à atteindre, chargés de mener des contre-réformes qui rencontrent l’opposition des personnels, agissant de plus en plus comme des chefs d’entreprise, de nombreux chefs d’établissement et inspecteurs adoptent un management qui accroît fortement l’incompréhension et l’hostilité du monde enseignant. Les conséquences de cette politique managériale peuvent se traduire par des conflits et des tensions entre collègues lors des différentes réunions et/ou sur les pratiques pédagogiques
Par ailleurs, on ne peut que constater chez les enseignants d’aujourd’hui un empilement de tâches situées dans plusieurs registres (pédagogique, administratif, juridique, vie scolaire) qui accaparent les personnels et qui ne relèvent plus directement de l’enseignement : réunions diverses et souvent stériles, tâches administratives diverses, projets innombrables et chronophages, rapports et documents exigés par la hiérarchie, etc.
Enfin, le nouveau management exhorte chaque enseignant à s’adapter. Il faudrait ainsi savoir en permanence innover, évoluer, relever des défis, s’acquitter de missions, atteindre des objectifs, monter des projets et évoluer de projet en projet, personnaliser sa pédagogie (même avec des classes dépassant les 30 élèves), se former tout au long de la vie, devenir un expert des TICE…
Dans ces conditions, nombreux sont les collègues en souffrance : stress, pression, sentiment de ne pas pouvoir faire son travail correctement (souffrance éthique), manque de reconnaissance. Mais à la CGT Educ’action, syndicat interprofessionnel et intercatégoriel, nous pensons que les maux dont souffrent les enseignants rejoignent ceux qui s’exercent sur le monde salarié en général. Non seulement les contre-réformes qui se succèdent sont avant tout guidées par la réduction des dépenses publiques et le désengagement de l’État (pour préserver les profits) mais elles visent également à les faire travailler plus pour augmenter leur productivité. Et tant pis si, sur le plan humain, ça casse.
Une lutte toujours possible !!
Des outils juridiques
► Les CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et de Conditions de Travail) : créés en 2011 mais seulement aux échelons académiques et départementaux, ils disposent du droit d’alerte (qui oblige l’employeur à apporter une réponse à une situation dangereuse) et peuvent déclencher des enquêtes sur le lieu de travail
► Le droit de retrait (droit individuel) : il peut être exercé par exemple en cas de violence ou de risque pour la santé
► Le registre santé et sécurité au travail et le registre de danger grave et imminent : ils se présentent sous forme de cahiers et permettent de signaler les problèmes relevant des conditions de travail ou d’un danger matériel ou psychique, entre autres.
Une contestation contrôlée par notre hiérarchie
Quelle que soit notre hiérarchie, elle mise souvent sur l’isolement des collègues pour maintenir la pression et l’autoritarisme. C’est autant de rendez vous individuels, de discussions « informelles », de convocations pour des « fautes professionnelles » qui n’en sont pas afin de maintenir le collègue dans un état de faiblesse propice à lui faire accepter des heures supplémentaires, des conditions de travail inacceptables … Il existe bien entendu des outils juridiques qui sont utilisables pour alerter et lutter contre un chef d’établissement ou un inspecteur qui outrepasserait ses droits ou harcèlerait un collègue. C’est alors une lutte individuelle qui est importante à faire mais qui peut être longue et ne pas améliorer rapidement la situation. Et surtout, beaucoup de ces dispositifs, passent par une médiation imposée par le rectorat ou l’inspection et qu’elle contrôle alors que ceux-ci n’ont aucun intérêt à désavouer le personnel qu’il a nommé, surtout si son autoritarisme permet finalement d’augmenter la productivité du personnel de l’éducation. Au cours d’un entretien avec le DRH du rectorat, il faudra argumenter contre notre hiérarchie que le DRH veut défendre en cherchant simplement à déminer le conflit. Reste alors à courber l’échine quand on revient sur le terrain si le rectorat a jugé que ce cas manquait d’arguments juridiques pour être défendable devant le tribunal administratif, dernier recours pour nous en cas d’échec de la médiation.
Une lutte collective s’impose
Des outils peuvent nous aider à nous défendre lorsque nos conditions de travail se dégradent mais ça ne remplace par l’efficacité d’une réaction commune à l’ensemble du personnel d’un établissement. Imposer l’ouverture d’un registre santé et sécurité, d’un registre de dangers graves et imminents pour signaler les problèmes, et des CHSCT qui dressent de véritables bilans et proposent des solutions n’a de sens que si nos supérieurs hiérarchiques sentent que le rapport de forces est en faveur du personnel et que ces registres sont utilisés pour défendre les droits de l’ensemble du personnel. De même utiliser individuellement son droit de retrait, c’est s’exposer face à sa hiérarchie, alors qu’il peut s’avérer efficace pour dénoncer des faits de violence et discuter des revendications et des luttes à mettre en place pour retrouver un climat serein.
Souder le personnel autour des questions de conditions de travail et de rapports avec la hiérarchie n’est pas évident parce que la pression mise sur chacun n’est pas la même. Autant la lutte s’organise vite lorsqu’un incident plus grave survient et que les enseignants, le personnel administratif, le personnel Technique des Locaux … prennent conscience qu’il est impossible de travailler sereinement, et peut mener à une grève tout à fait légitime, parfois longue et dure, mais qui secoue jusqu’au rectorat. Mais c’est souvent trop tard pour certains collègues déjà en souffrance.
La force d’un collectif organisé
Dès que le climat manque de sérénité, ces questions de conditions de travail et de rapports avec notre hiérarchie ont besoin d’être régulièrement mises à l’ordre du jour des heures d’information syndicale. La discussion évite l’isolement et permet à l’ensemble du personnel de comprendre que nous sommes victimes comme les autres salariés de la dureté de la crise du capitalisme et des tensions qu’elle génère. C’est aussi le moment d’être informé de ses droits comme celui minimal de connaître le motif d’un entretien que l’on pressent tendu, et de pouvoir être accompagné. La CGT Educ’action peut aussi jouer un rôle en soutenant le personnel et en intervenant auprès de la hiérarchie. Ces moments de discussion gagnent en force s’ils sont partagés avec l’ensemble du personnel, qu’il s’occupe de l’entretien, de l’administratif, de l’enseignement ou de la surveillance et s’il débouche sur des actions qui permettront de faire appliquer nos droits et de montrer que le rapport de forces est en notre faveur avec un personnel soudé.