A quoi servent les enquêtes PISA ?
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Nous avons eu le droit aujourd’hui à un affolement journalistique suite à la publication de l’enquête PISA.
Avant même d’analyser ses résultas, il faudrait d’abord s’interroger sur le sens de cette enquête de l’OCDE, institution ennemie des travailleurs.
Nous reproduisons ci-dessous un extrait d’un article publié par l’Appel pour une école démocratique en réaction à l’enquête de 2009
L’enquête PISA est un thermomètre. Avant d’en tirer des leçons, il faut s’interroger : qui l’a fabriqué et pour quoi faire ? Que mesure exactement ce thermomètre ? L’initiative des enquêtes PISA provient de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), un organisme international qui regroupe les pays les plus riches de la planète et qui formule des analyses et des recommandations sur la manière de faire fonctionner au mieux le capitalisme mondial. Comment privatiser les services publics ? Comment renflouer les banques sans faire mal à leurs actionnaires ? Comment orienter la recherche universitaire pour soutenir le bénéfice des entreprises ? Comment réduire la pression fiscale sur le capital et les riches ? Comment libéraliser les marchés mondiaux ? Comment diminuer les salaires sans provoquer de révolte sociale ? Voilà le genre de questions que se posent les experts de l’OCDE et auxquelles ils trouvent généralement des réponses bien inquiétantes pour les simples mortels que nous sommes.
L’OCDE et l’école
Depuis une vingtaine d’années, l’OCDE a aussi commencé à s’intéresser de près à l’enseignement. Avec l’exacerbation de la concurrence, l’accélération et l’aggravation des crises du capitalisme mondial, il s’agissait de faire en sorte que les dépenses de l’Etat pour l’éducation répondent le mieux possible aux « besoins » de l’économie, entendez : qu’elles servent le mieux possible la compétitivité et le profit. Il faut freiner la croissance des dépenses d’enseignement et réorienter les systèmes éducatifs sur les besoins nouveaux du marché du travail : voilà la recommandation que formule depuis vingt ans l’OCDE. Or, que réclame-t-il ce marché du travail ? Non pas une croissance générale des niveaux de formation, mais leur polarisation : d’un côté, beaucoup d’emplois hautement qualifiés, de l’autre, une masse de « petits boulots » dans les secteurs de services. Dans un rapport publié en 2001, l’OCDE écrit : « tous (les élèves) n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la “nouvelle économie” – en fait, la plupart ne le feront pas – de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin » [1]. Il ne faut donc surtout pas aller trop loin dans la démocratisation de l’enseignement. Pas besoin d’avoir étudié beaucoup d’histoire, de géographie, des maths et des sciences de haut niveau pour travailler dans un McDo ou pour conduire une camionnette de Coca-Cola. En revanche, insiste l’OCDE, même dans ces emplois faiblement qualifiés il faudra que les travailleurs soient capables de s’adapter à un environnement en changement rapide et il faudra qu’ils puissent facilement passer d’un poste de travail à un autre, d’une fonction à une autre. Cette « adaptabilité », cette « employabilité » sans qualification, devraient être acquises avant l’âge de 15 ans, par l’exercice de « compétences de base » en lecture, langues, mathématiques, sciences, informatique, etc. Ensuite, à partir de 15 ans, on fera le tri de ceux qui « iront loin » (et qui pourront alors dépasser les compétences de base), ceux qui apprendront un métier (dans une formation professionnelle étroite) et ceux qui iront très vite travailler dans les emplois précaires.
Il y a dix ans, l’OCDE a donc lancé l’initiative PISA, dans le double but d’encadrer et d’encourager la réforme de l’enseignement dans ce sens. PISA c’est une batterie de tests standardisés qui mesurent à quel point les élèves de 15 ans ont atteint ces compétences de base et rien d’autre. Comme l’explique clairement le rapport que vient de publier l’unité de l’Université de Liège, qui coordonne l’étude PISA en Communauté française : « La question est moins de savoir ce que les élèves de telle année peuvent faire, mais bien comment les élèves de 15 ans sont préparés à entrer dans la vie adulte. C’est pour cette raison que PISA évalue la culture mathématique ou scientifique, et pas les mathématiques ou les sciences. Ce qui pourrait sembler être un détail terminologique traduit la volonté de l’OCDE de voir si la culture des jeunes en mathématiques et sciences est suffisante par rapport aux demandes des sociétés industrialisées » [2]. En langue maternelle, par exemple, on n’évalue ni les techniques de base, ni l’orthographe, ni la vitesse de lecture, ni la maîtrise d’un vaste vocabulaire, ni bien sûr le plaisir que l’on prend à lire, ni la qualité de ce qu’on lit, ni l’imagination dont on fait preuve dans la rédaction d’un texte... mais principalement la capacité de comprendre un texte dans un contexte directement opérationnel. Car c’est cela qui est demandé par les marchés du travail, particulièrement dans les emplois à faible niveau de qualification.
Si je prends toutes ces précautions, ce n’est pas pour dire que les données PISA ne valent rien ou que le travail des scientifiques qui ont préparé l’enquête aurait été mal effectué. Au contraire : jamais une étude de ce type n’aura été conduite avec de tels moyens et un tel souci de rigueur scientifique. Mais il faut comprendre que le thermomètre PISA ne peut pas nous apprendre autre chose que ce pour quoi il a été conçu : mesurer des compétences basiques en lecture, en mathématique et en sciences. PISA ne nous révélera pas si les élèves connaissent l’histoire de la colonisation belge au Congo, s’ils savent écrire sans faute, s’ils savent concevoir et développer le plan d’un texte à rédiger, s’ils parviennent à mémoriser des textes ou des formules, s’ils ont entendu parler de Victor Hugo, de la traite des nègres, de la Saint-Barthélémy ou de l’athéisme, s’ils savent danser, chanter, dessiner, cuisiner, raconter des histoires, engager une discussion sérieuse ou banale, s’ils ont un vocabulaire riche ou pauvre, s’ils peuvent utiliser une formule mathématique en physique ou en économie, s’ils distinguent communisme et fascisme, s’ils savent que les éoliennes produisent une fraction infime de notre électricité,... Tout ce savoir-là, toute cette ignorance-là, ne sont pas mesurés par PISA. Aussi, quand un quotidien titre que « notre école progresse » parce que l’un des trois indicateurs PISA (lecture) est en hausse, on reste perplexe. Et si l’on avait mesuré autre chose que ces compétences de base-là, aurait-on aussi progressé ? Et notre classement aurait-il été le même ?