Enseigner autrement pour une école émancipatrice
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Socle commun et compétences entraînent l’École dans une simple fonction d’employabilité : la CGT Éduc’action n’a de cesse de dénoncer cette évolution. Mais l’idéal d’émancipation implique également une réflexion plus générale sur les biais d’une éducation institutionnelle.
On peut suivre Jacques Rancière (1) lorsqu’il estime que l’école exerce une fonction d’optimalisation sociale (en gros, préserver l’ordre social, y compris dans ses inégalités). Ainsi, l’école émancipatrice, quelle que soit sa forme, n’existerait pas. Tout autant que la pédagogie traditionnelle de la transmission neutre du savoir, l’Éducation nouvelle se construit aussi sous le présupposé de l’inégalité des intelligences (cf. le Livret de compétences). En outre, cette analyse nous éclaire sur le fait que ce sont les individus in fine qui s’émancipent (idée, attention, étrangère à la volonté de reporter sur l’individu les causes de l’échec scolaire).
Exempté des logiques de classes, de programmes ou encore de notation, l’enseignant documentaliste occupe une place à la marge dans l’établissement, tout en disposant d’un lieu physique unique, le CDI. Dans le même temps, ce double avantage le confronte à un objectif ambitieux : l’émancipation de tous les élèves.
Celle-ci passe évidemment par une sensibilisation à la littérature. Contrairement aux bibliothèques municipales, les CDI ont un public "captif" et identifié. Il peut agir sur celui-ci sans attendre qu’il fasse le premier pas.
L’évolution des pratiques culturelles rend cruciale cette mission d’accès à la lecture plaisir. Le développement du numérique, sur des supports de plus en plus intrusifs, modifie fortement les pratiques. La multiplication des sollicitations (difficulté à s’extraire du monde extérieur pour cause de "connexion" permanente…) rend de plus en plus difficile l’entrée dans la lecture profonde, particulièrement pour des générations immergées dès le plus jeune âge dans l’espace numérique ludique.
La quête de l’émancipation implique également l’émergence d’une didactique de l’information. Il s’agit, notamment, de troquer la vision d’une machine Internet magique et omnisciente contre une connaissance des mécanismes de classement des moteurs de recherche ; de savoir identifier et évaluer les sources, de les hiérarchiser puis de transformer les informations brutes en connaissances et enfin en savoir. Les digital natives ne disposent pas d’une maîtrise intuitive de ces phénomènes d’apprentissage.
Pourtant, si l’école ne permet pas "d’égaliser" la société, la connaissance des limites institutionnelles nous permet de réfléchir aux conditions de réalisation de l’émancipation par les individus. Comment ne pas établir le parallèle entre le fatalisme politique entonné depuis des décennies par la ritournelle médiatique (There Is No Alternative) et ce qu’on peut qualifier de fatalisme éducatif ? Le système éducatif est en effet organisé selon un principe de passivité des élèves qui interdit à ceux-ci l’acheminement d’un sens critique. Habitués dès leur plus jeune âge à intégrer (ingérer ?) la vérité du savoir sans en questionner sa construction, ils se retrouvent démunis dans la construction de leur jugement personnel. Cette défaillance de l’école se révèle d’autant plus préoccupante lorsque la pluralité du paysage médiatique ne conduit à aucun pluralisme des points de vue.
Dans cette vision politique de l’Éducation, l’enseignant-e documentaliste a donc un rôle pédagogique fondamental à jouer. Faut-il pourtant souhaiter un alignement de notre métier sur celui du professeur "traditionnel" ; se limiter à la participation à des systèmes annexes (type TPE, AP, EE) ?
Or, malgré l’existence du CAPES Documentation, notre rôle n’est toujours pas totalement avalisé.
Dans l’exercice quotidien de notre métier, on peut remarquer, par exemple, les difficultés à disposer d’un accès professeur aux ENT et donc aux fonctionnalités telles que les notes. Plus globalement, la nécessité de créer une Inspection spécifique à la Documentation reste un combat toujours en cours. Pire, les projets de trans-formation des CDI en Centre de Connaissances et de Culture posent les jalons d’un retour en arrière.
(1) Jacques Rancière, philosophe, a été l’élève de Louis Althusser. Publié en 1974, son livre de rupture, "la Leçon d’Althusser", vient de reparaître aux Éditions La Fabrique. Parmi ses autres essais : "le Philosophe et ses pauvres" (Champs-Flammarion, 1981), "la Haine de la démocratie" (2006) et "le Spectateur émancipé" (2010), aux Éditions La Fabrique. (Ibo/Sipa)