LE CAMPUS DES MÉTIERS ET DES QUALIFICATIONS:L’OBSESSION DE LA COMPÉTITIVITÉ
par
popularité : 5%

Les Campus des Métiers et des Qualifications (CMQ) ont été créés dans le sillage de la loi de refondation de l’école, en mai 2013. Aux lycées de Fécamp, les personnels ont découvert à la rentrée 2013 que leur établissement avait été choisi pour constituer la tête de réseau du CMQ3E (Campus des Métiers et des Qualifications des Energies et de l’Efficacité Energétique). Cette structure inédite soulève bien des questions et appelle d’importantes critiques.
Le CMQ, qu’est-ce que c’est ?
Impulsé par les ministères de l’Education nationale, de la Recherche et du redressement productif, le campus des métiers et des qualifications est défini dans le BOEN n°20 de 2013 (http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71776). D’après le jargon en vigueur, il s’agit de faciliter la continuité et la mixité des parcours dans le cadre du « continuum bac – 3/bac +3 » (statut scolaire, apprentissage, formation tout au long de la vie, VAE), de favoriser la poursuite d’études vers le supérieur et d’ouvrir sur l’international.
La spécialisation du CMQ3E haut- normand porte sur le domaine des énergies et de l’efficacité énergétique (thème labellisé en octobre 2013). Le statut du CMQ3E est celui d’une association loi 1901 qui regroupe en particulier des établissements de formation et de recherche et des entreprises. Un comité de pilotage associe les services de l’Etat, l’Education nationale, l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les entreprises et la Région. Le principe fondateur est la « mutualisation des moyens techniques et humains, dans une démarche collaborative et non concurrentielle » (sic). Une assemblée générale constitutive s’est réunie le 20 février 2014.
Ça, c’est pour la bonne parole. Mais essayons de comprendre ce qui se trame derrière cette appellation prétentieuse.
Le CMQ, une nouvelle version du lycée des métiers ?
Pas vraiment. Alors que le label lycée des métiers est attribué à un établissement, en lien avec une spécialité professionnelle, le CMQ ne labellise pas un seul établissement mais un réseau d’établissements.
En revanche, comme le lycée des métiers, le CMQ a pour objectif de favoriser la mixité des parcours et des publics. Forcément, comme les gouvernements de droite ou de gauche qui se succèdent depuis une dizaine d’années, le ministère cherche avant tout à développer l’apprentissage et met l’enseignement professionnel public en concurrence avec celui-ci.
Sur le plan de la « démocratie » (mais n’ayons guère d’illusions sur une supposée démocratie dans l’Education Nationale), le CMQ, c’est pire en tous les cas. Alors qu’un vote majoritaire du conseil d’administration est nécessaire pour obtenir le label lycée des métiers, ce n’est même plus le cas pour l’adhésion d’un établissement à un CMQ. Pourquoi donc l’institution prendrait-elle le risque d’essuyer un refus des personnels et des usagers et contrarier ainsi les plans du rectorat et du conseil régional ? Le ministère impose l’adhésion au CMQ, un point, c’est tout. Ainsi, 27 lycées de l’académie ont adhéré au CMQ3E, parmi lesquels, outre les trois lycées fécampois, l’Emulation dieppoise, Siegfried, Schuman/Perret, Lavoisier au Havre, Sembat à Sotteville, Queneau à Yvetot, Coubertin à Bolbec, entre autres. Evidemment, cela s’est fait sans concertation et sans en informer les personnels. Aux lycées de Fécamp, les personnels n’ont reçu qu’un courrier de leur direction, en septembre, les informant vaguement de la mise en place du CMQ mais les représentants des personnels ont été soigneusement tenus à l’écart de toute réunion sur ce sujet. Circulez, y’a rien à voir !
Quel partenariat avec les entreprises locales ?
Le CMQ prévoit d’établir « des liens privilégiés avec les entreprises locales : notamment afin d’y réaliser des prototypes, mais aussi par la mise à disposition des plateaux techniques du campus ». Le CMQ3E comporte en effet des entreprises partenaires qui ont choisi d’y adhérer : Areva, EDF, ERDF ou Dalkia ! C’est donc ça, les entreprises locales ? On pouvait s’attendre à des PME et au lieu de cela, on a des sites locaux de firmes multinationales bien connues pour leur contribution au progrès social et environnemental.
Pourquoi un statut d’association loi 1901 ?
Ce statut inédit constitue une entorse au fonctionnement du service public de l’enseignement professionnel. Comme nous l’avons montré plus haut, le risque est en effet réel que ce type de structure renforce la mainmise des intérêts patronaux sur l’enseignement professionnel. D’autant qu’on trouve dans le « collège institutions et associations », l’un des deux principaux lobbies patronaux, à savoir la CGPME, ainsi que la CCI de Fécamp/Bolbec. Manque plus que le MEDEF, mais cela ne devrait pas tarder… Qui peut donc croire que la présence de groupes industriels comme Areva ou EDF et celle d’associations patronales soit désintéressée ? C’est un peu le loup qui entre dans la bergerie. Le pouvoir décisionnel, ou à tout le moins l’influence, qui leur est conféré sur les formations dispensées et leurs modalités risque donc par ce biais d’accroître la mainmise des milieux patronaux.
Et les conditions de travail des personnels dans tout ça ?
D’après ceux qui sont chargés de vendre le projet, deux principes pédagogiques sont mis en avant : la mutualisation et la modularisation.
Comme il faut toujours un habillage pédagogique, la mutualisation est présentée comme une opportunité pour nos élèves de sortir du lycée pour découvrir plein de choses, et pour le lycée, de nouer des partenariats avec d’autres établissements. Mais derrière ce mot de mutualisation, il y a évidemment l’obsession de la réduction des dépenses budgétaires. Comment ? Par exemple en mettant les locaux et les plateaux techniques des établissements scolaires à la disposition d’autres publics et d’autres formations. Ou encore en mixant des publics différents (élèves, apprentis, adultes en formation) puisque l’un des objectifs des CMQ est de développer l’apprentissage. Une seule classe au lieu de deux (avec deux ou trois types de publics différents), un seul atelier au lieu de deux, voilà qui permet de faire des économies.
La modularisation consiste à mettre en place des formations ou des enseignements sur de courtes périodes, de quelques semaines par exemple, parfois en lieu et place de formations plus longues et de meilleure qualité mis plus coûteuses. Cela permet ainsi d’éviter d’ouvrir des formations dans les lycées publics et aussi d’en supprimer.
Par les contraintes liées à l’organisation du travail des enseignants (occupation des locaux, organisation du temps, par exemple) ou à la diversité des publics accueillis, la mutualisation et la modularisation peuvent donc avoir des conséquences tout à fait négatives sur nos conditions de travail.
Le CMQ, une coquille vide ?
Rien n’est moins sûr. Le statut d’association loi 1901, la présence de puissantes entreprises et de groupes de pression patronaux en son sein, la mise à disposition des plateaux techniques des établissements, la promotion de l’apprentissage, qui a les faveurs du patronat, au détriment de l’enseignement professionnel public, tous ces éléments font craindre que le campus des métiers ne constitue une étape de plus vers une sortie de l’enseignement professionnel du système éducatif public.