5 bonnes raisons de contester la modulation des allocations familiales
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1- Baisser le montant des allocations familiales ne se justifie pas
Le déficit de la Sécurité sociale s’élève en 2013 à environ 12,5 Mds d’Euros.
Ce montant est à comparer avec :
- Les 30 Mds d’exonérations de cotisations sociales
- Les 20 à 25 Mds de fraude aux cotisations sociales estimés par la Cour des comptes. En période de crise, baisser les prestations (retraites, allocations chômage, allocations familiales…) de la Sécurité sociale fragilise la consommation des ménages et a donc un effet récessif. Il serait donc plus efficace de mettre en cause les exonérations de cotisations sociales et de renforcer les dispositifs de lutte contre le travail dissimulé. La branche famille était à l’équilibre en 2007 et compte en 2013 2,9 Mds de déficit. Alors que le montant des prestations n’a pas augmenté. Il y a deux raisons au déficit :
- Le financement par la branche famille de prestations qui ne lui appartiennent pas : l’assurance vieillesse des parents au foyer (pour 4,4 milliards en 2012) et les majorations familiales de retraite (pour 4,5 milliards en 2012). Ainsi, sur les 54 milliards de ressources de la CNAF, près de 9 milliards sont détournés vers l’assurance-retraite et ne profitent pas directement aux enfants.
- La baisse du financement des entreprises : Selon un rapport de la Cour des comptes paru en 2013, la cotisation patronale destinée à financer la branche a constamment décru depuis 1946 où son taux était fixé à 16,75 % des rémunérations sous plafond. Il a été progressivement abaissé pour se stabiliser à 9 % entre 1974 et 1989, avant que la cotisation ne soit déplafonnée et son taux ramené à 7 % en 1990. La création de la CSG en 1991 s’est accompagnée d’une nouvelle baisse du taux de la cotisation patronale famille, à 5,4 %. Si ce taux est depuis lors resté optiquement inchangé (le taux sera de 3,45 % entre 1 et 1,6 SMIC à compter du 1er janvier 2015), la contribution des entreprises a en réalité été très sensiblement diminuée par la mise en œuvre d’un dispositif d’allégements généraux de cotisations.
2- Le montant des aides accordées aux familles est déjà insuffisant
Contrairement au discours récurrent sur la générosité du modèle social français, la France ne consacre que 2,5% de son PIB aux aides aux familles, ce qui la place au 10e rang de l’Union Européenne
Des prestations très éloignées du « coût » d’un enfant
Une famille avec trois enfants a un niveau de vie plus bas qu’un couple sans enfant, percevant les mêmes salaires, de 16 % si elle gagne 2 fois le SMIC, de 30 % si elle gagne 5 fois le SMIC. Les allocations familiales sont devenues très faibles pour les classes moyennes ; le quotient familial ne fait que tenir compte de la baisse de niveau de vie induite par la présence d’enfants ; il n’apporte pas d’aide spécifique aux familles. Le « coût » moyen d’un enfant est donc de l’ordre de 500 euros. Or, les allocations familiales sont de 64 euros par enfant (pour une famille avec deux enfants), et de 97 euros par enfant (pour une famille avec trois enfants).
Une baisse de 25% depuis 30 ans
Les prestations familiales augmentent peu, n’étant généralement indexées que sur les prix et ne suivant pas les salaires. Pire, certaines années, les prestations n’ont même pas été augmentées à hauteur de l’inflation. Finalement, de 1984 à 2012, les allocations familiales ont perdu 5,7 % en pouvoir d’achat absolu, mais 25 % en pouvoir d’achat relativement au revenu médian des ménages.
3- C’est lorsque la protection sociale est la plus universelle que les ménages les plus modestes sont le mieux protégés
L’enseignement des comparaisons internationales
Parmi les pays de l’OCDE, on constate que plus la protection sociale est universelle et inclusive (comme en Suède) et plus les prestations sont généreuses. A l’inverse les pays (comme les Etats-Unis) dont le système d’imposition est très progressif et dont les prestations sont très ciblés consacrent beaucoup moins de ressource à la protection sociale.
L’enjeu de l’acceptabilité de l’impôt
En effet, dans un système très ciblé, ceux qui peuvent bénéficier des prestations sociales sont toujours une minorité des électeurs. Or c’est bien la majorité (des électeurs ou des députés) qui fixe le niveau des prestations. Dans un tel système, les plus pauvres doivent donc compter sur les autres contribuables pour fixer le montant des prestations sociales. Dans ce cas, la générosité atteint vite ses limites.
Dans un système universel en revanche, fixer le niveau des prestations revient à définir le niveau de sécurité que les citoyens s’accordent à eux-mêmes. Et dans ce cas, une large majorité de la population, y compris parmi les plus favorisés, préfère un système avec un haut niveau de prélèvements mais très protecteur.
De même un système appuyé sur des prélèvements proportionnels (comme les cotisations sociales), pourra bénéficier d’un soutien politique plus large qu’un système adossé à des prélèvements très progressifs (qui divisera la population entre catégories de contribuables).
4- Le plafonnement des allocations familiales contribue à pousser les cadres et professions intermédiaires vers un système assurantiel
Une remise en cause du fondement de la Sécurité sociale « chacun cotise selon des moyens et reçoit selon ses besoins »
La politique familiale repose sur une solidarité horizontale, entre les ménages qui ont des enfants et les ménages sans enfants, pour aider au financement du « coût » d’un enfant. Les allocations familiales sont les dernières prestations servies sans condition de ressources. Si elles cessaient d’être universelles, ce serait la quasi-totalité des prestations familiales qui seraient alors sous condition de ressources. On peut d’ailleurs rappeler les limites des dispositifs de « ciblage ». Sur le plan technique, la modulation, tout comme la mise sous conditions de ressources, se heurte à des difficultés bien connues, comme les effets de seuil ou les stratégies d’évitement pour échapper à la modulation…
Mais, surtout, la pente vers des dispositifs similaires en matière de santé ou de politique sociale risquerait d’être très glissante. Pourquoi ne pas ensuite imaginer rembourser les médicaments en fonction des ressources ou moduler le montant de certaines allocations très spécifiques – actuellement universelles – comme, par exemple, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ?
Cette mesure arrive alors que…
le gouvernement a plafonné le quotient familial et gelé le barème de l’impôt sur le revenu. De nombreux ménages connaissent une forte hausse d’impôts ;
le pacte de responsabilité qui prévoit à terme la suppression des cotisations familiales sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC. Actuellement, le taux de 5,4 % de cotisation ne s’applique qu’à 44 % des salariés, ceux rémunérés au-dessus de 1,6 SMIC.
Ce sont les cadres et les professions intermédiaires qui contribuent le plus au financement de la branche famille, les exclure du bénéfice des allocations familiales risque de les pousser à se tourner vers un système assurantiel.
5- Une réforme fiscale et une remise à plat de la politique familiale sont nécessaires
C’est l’impôt qui doit assurer la redistribution.
La CGT et son Ugict proposent une réforme fiscale pour renforcer la justice de l’impôt. Il serait par exemple utile de réformer le quotient conjugal pour renforcer le caractère redistributif de l’impôt et garantir l’égalité F/H
Les entreprises doivent financer la politique familiale
Les allocations familiales sont un salaire différé (le salaire différé est composé de deux parties : une part patronale versée directement par les entreprises, et une part salariale retenue sur le salaire), dès 1945, elles ont été conçues comme des “sur-salaires” et donc versées par les entreprises, ainsi appelées à financer la politique familiale. La contribution financière des entreprises apparaît encore plus légitime pour les mesures tendant à la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle qui représente entre 10 et 15 milliards d’euros ou de l’ordre de 1,4 à 1,8 point de cotisation patronale « famille ».
Selon un rapport du Conseil d’État « ces actions ont un impact positif sur le taux d’activité et contribuent ainsi au dynamisme global du marché du travail et à l’augmentation de la croissance potentielle. Les entreprises bénéficient directement au premier chef de la politique ainsi conduite. »
La CGT propose notamment, à la place des exonérations de cotisations sociales qui ont démontré leur inefficacité à créer de l’emploi et qui tire les salaires vers le bas, la double modulation des cotisations sociales, en fonction de la politique d’emploi et de salaires des entreprises, et de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
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Sources :
Henri Sterdyniak, OFCE http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/faut-il-reduire-les-prestations-familiales-faut-il-les-imposer/
Jérôme GUEDJ, rapport parlementaire sur le financement de la branche famille, 30 avril 2014 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1918.asp