Collège : Un cheval de Troie de la flexibilité
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Nous publions ci-dessous un extrait d’un très bon article de La Vie moderne sur la réforme du collège
Les « enseignements pratiques interdisciplinaires », comme l’« accompagnement personnalisé » ont d’abord cette vertu d’être pris sur les cours du tronc commun, même s’ils s’intitulent très étonnamment « enseignements complémentaires » dans le décret : des « enseignements complémentaires » qui ne coûtent donc... rien.
Les EPI, comme l’accompagnement dit « personnalisé » (en classe entière !), parce qu’ils peuvent être menés par n’importe quel professeur, sont avant tout des paramètres d’ajustement dans la gestion des ressources humaines qui permettront de substantielles économies budgétaires, sur l’exemple du lycée. Ils permettront de réduire le coût des heures supplémentaires (plus d’une demi-milliard d’euros par an au collège) comme de compléter plus facilement les services des professeurs en sous-service.
Exemples de flexibilité, ou à quoi tiendront les EPI :
– La répartition horaire : l’EPI comportera plus ou moins de SVT selon que le professeur de SVT aura besoin de compléter son service. Le projet pédagogique n’aura qu’à s’adapter à cette étrange contrainte non pédagogique. Les thèmes risquent d’être surtout choisis en fonction de considérations de service.
– L’attribution : la constitution des équipes risque bien de ne pas être toujours pédagogique. Un professeur n’a pas assez d’heures pour effectuer son service ? Qu’à cela ne tienne : il sera affecté, selon son vœu ou non, à un ou deux EPI ou à quelques heures d’AP ! Pour une même classe la partie disciplinaire du cours de français pourra être assurée par un professeur de français (qui a trop d’heures) et la partie interdisciplinaire par un autre (qui n’en a pas assez). Au lycée, il était même recommandé que l’accompagnement personnalisé fût assuré par un professeur ne connaissant pas les élèves ! On rencontre déjà, dans le collège actuel, des disciplines partagées entre plusieurs professeurs pour raisons de service
– La constitution des équipes : pour les mêmes raisons que ci-dessus, elle risque bien de ne pas être toujours pédagogique.
– Pire : à terme l’EPI permettra sans doute de transférer des heures d’une discipline à une autre. Qu’importe que, dans une heure et demi d’EPI sur le thème « Transition écologique et développement durable », une heure soit effectuée par le professeur de français et une demi-heure par le professeur d’histoire-géographie… ou l’inverse : au total c’est toujours une heure et demie d’EPI dans l’emploi du temps des élèves !
Un premier pas, avec la globalisation des horaires scientifiques ou artistiques en 6e, vers une polyvalence disciplinaire qui ne dit pas son nom, dans l’esprit d’une « école fondamentale » du primaire jusqu’au collège appelée de leurs vœux par les plus progressistes de nos pédagogues naufrageurs et par les néo-libéraux. Rappelons que la classe de 6e est d’ores et déjà rattachée symboliquement à l’école primaire par ses programmes et son appartenance au « cycle 3 ».
Rappelons également que, dans la version initiale du projet de réforme, les EPI devaient tout simplement engloutir les options de langues anciennes et permettre ainsi de convertir opportunément des milliers de postes de langues anciennes en milliers de postes de français, les lettres modernes et les lettres classiques souffrant d’une grave crise de recrutement[9].
La suppression des décharges pour effectifs pléthoriques ou des heures de chaire obéit aux mêmes considérations économiques. On comprend mieux pourquoi l’Institut Montaigne, « Terra Nova » ou le Medef soutiennent activement cette réforme. Déjà, en 2013, la Cour des comptes, qui n’a pas de compétence pédagogique, critiquait « la monovalence disciplinaire des enseignants du second degré », son « coût important » et exigeait... « un net renforcement de l’interdisciplinarité et du travail en équipe ».
Disons-le : cette réforme, qui se veut pédagogique, est uniquement technocratique et budgétaire. Elle n’aidera pas les élèves en difficulté en leur proposant un enseignement déstructuré et des intervenants plus nombreux. Elle ne fera que contribuer à proposer une école publique au rabais.