Projet de réforme de l’évaluation des enseignants : inégalités persistantes et management au plus près.
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Le ministère ne cache pas ses intentions. Dans le cadre du PPCR (Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations), il veut passer « d’une gestion administrative à une gestion des ressources humaines », accentuant ainsi les dérives managériales déjà à l’œuvre dans les services publics et l’Education nationale. Le 23 août, il a donc révélé un projet qui s’articule autour de l’accompagnement des enseignants tout au long de la carrière et de rendez-vous/inspections suivis d’entretiens. Nos supérieurs hiérarchique complèteront une grille d’évaluation qui vaudra compte-rendu de ces « rendez-vous de carrière ».
Ce projet modifie en profondeur l’évaluation des enseignants en le fondant sur l’abandon de toute référence collective, sur un renforcement de l’arbitraire hiérarchique et sur la concurrence entre les personnels.
Il devrait être mis en œuvre à partir du 1er septembre 2017. Toutefois, les campagnes d’avancement d’échelons 2017-2018 s’appuieront sur l’actuel dispositif de notation pour les 6è et 8è échelons. La note administrative sur 40 sera celle de 2015-2016 : il n’ y aura donc pas de note administrative en 2016-2017.
Rendez-vous de carrière, classe exceptionnelle, co-évaluation par le chef d’établissement… et renforcement du carriérisme.
Le nouveau système prévoit quatre rendez-vous de carrière. Pour tous les personnels, ils seront fixés un an après l’accès au 6è echelon, un an après l’accès au 8è et deux ans après l’accès au 9è échelon. Chaque rendez-vous consistera en une inspection, réalisée entre mai et octobre, suivie d’un entretien avec les supérieurs hiérarchiques qui seront là pour juger « de la valeur professionnelle de l’enseignant » et « déterminer, pour le premier rendez-vous, l’avancement accéléré du 6è au 7è échelon, pour le second, l’avancement accéléré du 8è ou 9è échelon, pour le troisième, le moment de l’accès à la hors-classe, pour le quatrième, l’accès à la classe exceptionnelle. »
Une fois la date d’inspection connue, l’enseignant devra préparer son inspection et le-s entretien-s qui suive-nt. Le collègue devra se référer à un guide sur la rénovation des carrières et de l’évaluation et s’appuyer sur une notice qui lui sera remise préalablement au rendez-vous de carrière. Le guide comme la notice comprendront un document de référence permettant de préparer ces rendez-vous.
Dans le 1er degré, l’inspection sera suivie d’un seul entretien avec l’IEN. Dans le 2nd degré, il y aura d’abord un entretien avec l’inspecteur, puis, dans un délai de six semaines, un deuxième entretien avec le chef d’établissement, « indépendamment des entretiens à intervalles réguliers […] dans le cadre de l’accompagnement » : ça va en faire des « rendez-vous » avec le chef et on peut déjà imaginer ce que ça va donner dans un lycée à 200 professeurs. Puis, l’inspecteur dans le 1er degré, l’inspecteur et le chef d’établissement dans le 2nd degré, feront un compte-rendu du « rendez-vous » au travers d’une grille d’évaluation (voir plus bas) . Dans le 2nd degré, l’appréciation générale sera co-rédigée par l’inspecteur et le chef d’établissement. La grille sera ensuite transmise à l’enseignant qui pourra formuler par écrit ses observations. Les collègues devront se montrer performants, en phase avec la ligne ministérielle et en bons termes avec leur chef d’établissement, car seuls 30% des effectifs se verront gratifiés de l’appréciation « excellent ». Et bénéficieront d’une réduction d’un an lors du passage aux 7è et 9è échelons.
Le recteur ou l’IA-DASEN rédigeront l’appréciation finale. Si l’enseignant n’en est pas satisfait , il pourra en demander la révision auprès du recteur (2nd degré) ou de l’IA-DASEN (1er degré). Ils auront un mois pour répondre. Si la réponse est défavorable, le collègue pourra saisir la commission administrative paritaire (CAPD ou CAPA), dans un délai d’un mois suivant la notification de la réponse. Mais comme il n’y aura plus de grille de référence, sa défense sera plus difficile : on n’imagine mal l’administration porter plus de crédit à la parole de l’enseignant qu’à celle de sa hiérarchie.
Ce sera encore plus difficile pour le passage à la classe exceptionnelle, le 3ème et nouveau grade prévu par la réforme, pour laquelle il n’y aura que 10% de promus. Ce nouveau grade, qui renforce les inégalités de traitement entre les enseignants, sera surtout réservé à des personnels exerçant déjà certaines fonctions : formateur/trice, conseiller(ère) pédagogique, directeur/trice d’école, DDFPT (ex-chef de travaux), PE- maître formateur ou encore exercice en éducation prioritaire, en post-bac et dans l’enseignement supérieur.
On le voit, ce nouveau système laisse donc plus de place à l’arbitraire et dote le chef d’établissement d’un outil supplémentaire de pression sur les collègues. Il pourra même donner son avis sur les pratiques pédagogiques. Il était déjà devenu un recruteur/licencieur (pour les Assistants d’Education, ou les personnels en CUI). Il va, petit à petit, se convertir en manager de nos carrières.
La grille d’évaluation professionnelle des enseignants : des critères subjectifs et très discutables.
Elle devrait se composer de 11 compétences. Avec quatre colonnes à cocher : « A améliorer », « Bon », « Très bon », « Excellent ».Dans le 1er degré, la grille sera complétée uniquement par l’inspecteur. Dans le 2nd degré, la première partie sera complétée par l’inspecteur, la seconde à la fois par l’inspecteur et le chef d’établissement. La première partie comporte cinq compétences liées à notre travail : il y est question de savoirs disciplinaires mais le document ne fait aucune référence à des programmes nationaux. Les quatre autres relèvent plutôt du domaine comportemental et relationnel : « Coopérer au sein d’une équipe », « Contribuer à l’action de la communauté éducative », « Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques » et « S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ». On est assez loin des critères relevant de la déontologie professionnelle ou du respect des missions du service public. Qu’est-ce qu’un éducateur responsable ? De quels principes éthiques parle-t-on ? Les termes sont suffisamment vagues pour permettre toutes sortes d’interprétations et laisser libre cours à l’arbitraire de quelques chefs hargneux. C’est d’autant plus probable que le chef d’établissement sera tenu de rédiger une appréciation de dix lignes, en plus de celle de l’inspecteur.
Le choix des mots est loin d’être neutre.
L’accompagnement des enseignants pourra se faire à la demande des personnels d’inspection ou de direction ou à la demande des collègues. L’accompagnement individuel se traduira par des « visites » dans la classe. Elles seront « principalement destinées à valoriser les compétences, identifier les besoins de formation et repérer les talents ». L’accompagnement pourra aussi être collectif. Il s’agira de « définir des stratégies d’école ou d’établissement ». « Accompagnement » signifie « inspection » en langue managériale. De même qu’on entend souvent parler de « collaborateur » au lieu de « salarié ». La hiérarchie emploie ce type de vocabulaire pour créer l’illusion que nous serions sur un pied d’égalité, que nous ferions partie d’une même équipe unie par des objectifs communs. Mais même « accompagné » plutôt qu’inspecté, l’enseignant sera jugé : sa vie au travail et sa rémunération en subiront les conséquences. L’ « accompagnement » ou la « visite » dans la classe ne nous dispenseront pas du stress, de l’humiliation parfois, ou de l’exercice de lèche-bottes.
Il ne s’agit pas pour la CGT Educ’action de défendre le système actuel d’évaluation des enseignants. Il est lui aussi imparfait et mérite d’être changé. Mais celui que nous propose le ministère est pire. Il est directement inspiré des méthodes de management du secteur privé : il joue la carte de l’individualisation des carrières et du salaire au mérite contre les garanties collectives, celle de la concurrence entre collègues et de la soumission à la hiérarchie contre l’égalité de traitement. Il s’articule avec le décret d’août 2014 (qui a défini nos nouvelles missions et obligations réglementaires et nous a imposé toujours plus de travail sans pour autant réduire notre temps d’enseignement) et les différentes lois qui ont introduit toujours plus d’autonomie et de flexibilité dans les écoles/établissements.
La CGT Educaction revendique :
Une déconnexion totale entre évaluation et rémunération, entre évaluation et progression de carrière.
Une évaluation fondée sur l’entraide, le conseil, le travail collectif.
Suppression de la hors classe et de la classe exceptionnelle.
Un avancement réparti sur 18 échelons, sur un seul grade, avec un rythme d’ avancement identique pour tous.
Le versement immédiat de 500 euros à tous les personnels, soit l’équivalent de 90 points d’indice, pour compenser en partie la perte de pouvoir d’achat qu’ils ont subie.