Lycées professionnels : interrogations et tensions à propos du suivi des élèves en stage
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L’une des principales nouveautés de cette rentrée dans les LP concerne les PFMP (Périodes de Formation en Milieu Professionnel). Ces annonces suscitent des interrogations mais aussi des tensions dans un certain nombre de LP de l’académie, en particulier sur la fonction du « professeur référent ». Pour vous faire votre propre idée, nous vous recommandons la lecture de la circulaire du 31 mars 2016
« Professeur référent », une nouvelle fonction qui sème le trouble
La circulaire stipule que la recherche du lieu de stage revient à chaque professeur-référent. Qui serait professeur-référent ? Chacun de nous potentiellement, pas seulement les collègues de la spécialité professionnelle ou le professeur principal : « chaque enseignant(e) est ainsi désigné(e) comme enseignant(e) référent(e) pour l’encadrement d’une partie des élèves de la division. » Comment les collègues d’enseignement général, dont ce n’est pas la spécialité, pourraient-ils trouver des lieux de stage pour leurs élèves, sachant qu’ils ne bénéficient d’aucun moyen en amont des périodes de départ en stage ? Mystère.
De plus, le travail de préparation des conventions de stage incomberait également aux professeurs-référents : « la préparation de la convention est le moment d’élaboration d’un cadre individualisé de l’alternance sous statut scolaire. Un membre de l’équipe pédagogique, de préférence le/la professeur(e) référent(e) fixe avec le tuteur/la tutrice, les activités ou les tâches qui seront confiées à l’élève ». Pour des enseignants qui ont peu d’expérience en la matière, ça va être un casse-tête. Et une surcharge de travail.
Par ailleurs, la circulaire indique que les professeurs-référents seront désignés. Désignés comment ? De manière autoritaire par le chef d’établissement ? Par le DDFPT (ex-chef des travaux) ? Par les enseignants eux-mêmes, avec le risque de tensions entre collègues ? La circulaire ne le précise pas.
Concernant le suivi pédagogique, celui-ci « est réalisé par l’enseignant(e) référent(e) de l’élève désigné(e) pour chaque période de formation en entreprise. » C’est déjà le cas puisque dans chaque classe, le suivi et les visites en entreprise sont répartis entre PLP en fonction du nombre d’heures de cours. Mais alors pourquoi ajouter de la bureaucratie en exigeant que les professeurs-référents signent les conventions des élèves qu’ils sont chargés de suivre ? « L’enseignant(e) référent(e) et le tuteur ou la tutrice en sont par conséquent signataires [de la convention]. La signature de l’enseignant(e) référent(e) ne l’engage que pour ce qui le concerne, c’est-à-dire les stipulations pédagogiques de la convention. » Cela, c’est la théorie, mais dans les faits, des pressions sont déjà exercées sur des collègues dont tous les élèves n’ont pas trouvé de lieu de stage. Même si le texte ne l’indique pas, il est à craindre que le référent soit rendu responsable d’un stage qui se passerait mal ou de l’absence d’une PFMP.
La CGT revendique que nul enseignant ne soit obligé de signer les conventions et elle incite les personnels à construire le rapport de forces pour imposer cela dans les LP. Dans certains LP de l’académie, comme au lycée du Golf à Dieppe, les personnels ont refusé d’être désignés professeurs-référents.
Travaux dangereux, secret professionnel… des dispositions négatives pour les élèves
Si la circulaire comporte des points positifs pour les élèves, par exemple sur les gratifications financières, l’accès aux restaurants d’entreprise ou la prise en charge des frais de transport, il existe un certain nombre d’aspects négatifs.
Concernant les travaux dangereux pour les élèves d’au moins 15 ans, l’article 10 de la convention-type n’oblige plus les entreprises à demander une dérogation à l’inspection du travail, une simple déclaration de l’entreprise suffit. Cette mesure constitue indéniablement un recul pour la sécurité de nos élèves, même si dans les faits, des entreprises trichent avec cette obligation ou refusent de prendre nos élèves en stage à cause de cela.
L’article 12 indique que c’est à l’entreprise de déclarer les accidents du travail et non à l’établissement. Le problème est qu’il y aura des entreprises qui ne le feront pas, car elles ne veulent pas encourir de sanctions et cela pénalisera certains élèves. C’est aussi cela la réalité de l’entreprise…
L’article 5 impose aux stagiaires le « secret professionnel ». Est-ce bien légal ? Le secret professionnel s’applique surtout pour les professions médicales, pour des raisons évidentes. Mais pourquoi imposer à nos élèves le secret en toutes circonstances ? Voilà bien une disposition digne de l’Education nationale et de sa culture du secret. Les élèves ont des droits, qu’on les respecte.
« Lorsque le stagiaire interrompt sa période de formation en milieu professionnel pour un motif lié à la maladie, à un accident, à la grossesse, à la paternité, à l’adoption ou, en accord avec l’établissement, en cas de non-respect des stipulations pédagogiques de la convention ou en cas de rupture de la convention à l’initiative de l’organisme d’accueil, l’établissement propose au stagiaire une modalité alternative de validation de sa formation. » De quelle « modalité alternative de validation de formation » s’agit-il ? La circulaire ne le précise pas, ce qui laisse la porte ouverte à de possibles dérives.
Enfin, cédant à la manie du tout-évaluation, facteur de souffrance au travail, « pour chaque période, l’élève évalue la qualité de l’accueil dont il/elle a bénéficié au sein de la structure, et transmet cette information à son établissement. » Quand donc cessera cette manie de vouloir tout chiffrer et tout faire rentrer dans des cases ?
Trop de stages !
Pour la CGT Educ’action, la circulaire ne règle pas du tout le problème concret auxquels se heurtent les personnels des LP : 22 semaines de stage sur les 3 années du bac pro, c’est trop. Cette durée réduit la quantité, et par conséquent la qualité, des enseignements dispensés à nos élèves. Pour traiter entièrement les programmes, organiser les CCF, assurer la continuité du travail avec nos classes, c’est la galère. Un nombre important d’élèves peinent à trouver des lieux de stage et ils doivent parfois rattraper les semaines non effectuées pendant que leurs camarades sont en classe. D’ailleurs, l’objectif affiché relève de la méthode Coué : « l’organisation pédagogique des périodes de formation en milieu professionnel a pour objectif de valoriser les effets positifs de l’alternance sous statut scolaire. »
Il y a deux ans, le ministère avait pourtant annoncé aux organisations syndicales vouloir passer à 18 semaines au lieu de 22… puis a enterré cette décision quelques mois après, provoquant la colère de notre syndicat.
A la CGT Educ’action de l’académie de Rouen, nous revendiquons une réduction des PFMP à 10 semaines sur les 3 années, à la fois pour les raisons invoquées ci-dessus mais aussi parce qu’il est illusoire de croire que les entreprises s’y prendraient mieux pour former nos élèves. Certes, l’immersion en milieu professionnel peut tout à fait être instructive, nos élèves se trouvant confrontés à la « réalité » du monde du travail. Mais de quelle réalité parlons-nous ? Ce que chaque PLP peut constater, c’est l’extrême hétérogénéité de la qualité du stage. Il arrive souvent que nos élèves n’apprennent pas grand-chose en stage voire qu’ils effectuent des tâches n’ayant aucun rapport avec leur spécialité, et pas seulement remplir les rayons de supermarchés… Et les équipes n’ont pas vraiment les moyens de peser sur ce que les entreprises font faire à nos élèves en stage : « vous n’êtes pas contents », nous rétorquera-t-on ? « Hé, bien ! On ne reprendra plus vos élèves. »
A la CGT Educ’action, nous défendons l’idée que le lieu privilégié pour apprendre un métier est le lycée professionnel. Il s’agit d’aider nos élèves à développer une culture technique et professionnelle et non d’en faire des exécutants dociles. Il s’agit de les armer intellectuellement pour comprendre ce qu’est la réalité du travail et de l’entreprise et non de les formater à l’idéologie entrepreneuriale, qui vise surtout à faire oublier le lien de subordination du salarié à l’égard de son employeur. Il s’agit d’instruire des citoyens capables de se défendre et de changer l’ordre social qui les relègue socialement.