Esprit « d’entreprendre » : le temps de cerveau de nos élèves ne doit pas être disponible pour la propagande patronale
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Une fois de plus, le rectorat fait la promotion sur son site internet de l’esprit d’entreprendre, en célébrant les vertus supposées des mini- entreprises. Lire l’article : http://www.ac-rouen.fr/academie/actualites-de-l-academie/l-esprit-d-entreprendre-des-eleves-de-l-academie-160603.kjsp?RH=ACCUEIL
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail des collègues qui donnent du temps et de l’énergie pour essayer de motiver nos élèves. Mais qu’on nous permette simplement de les appeler à la plus grande vigilance à l’égard de ces partenariats qui se généralisent pernicieusement.
En effet, s’il est souhaitable que l’Ecole enseigne ce qu’est l’entreprise à nos élèves, il est inacceptable qu’elle ouvre ses portes à des lobbys qui en profitent pour véhiculer un discours et une idéologie sur l’entreprise. Or, c’est à l’évidence le cas avec le réseau EPA, Entreprendre pour apprendre, lobby à la manœuvre derrière les mini-entreprises. EPA appartient d’ailleurs à un réseau plus vaste constitué à l’échelle européenne (Junior Achievement – Young Enterprise Europe) et mondiale (Junior Achievement Worlwild), chargé, entre autres, d’inculquer les « valeurs » de l’entreprise dans le système éducatif. Parmi les partenaires d’EPA, on trouve notamment le MEDEF, la CGPME et le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI-France). Et quand on navigue sur le site d’EPA, la liste des partenaires qui soutiennent le réseau est éloquente : Exxon Mobil, Engie, Crédit agricole, HSBC, BNP Paribas, Microsoft, Google, Bloomberg, Adecco, Orange, UBS, Banque populaire, etc., tous partenaires totalement désintéressés, naturellement, et animés uniquement de nobles idéaux pour la jeunesse.
Ensuite, EPA véhicule à travers les mini-entreprises un discours et une représentation de l’entreprise qui ne correspondent pas à la réalité du monde du travail mais qui relaient le point de vue et les attentes des patrons. Les mini- entreprises mettent en avant uniquement les savoirs- être et les qualités attendues des entrepreneurs : motivation, dynamisme, flexibilité, loyauté, engagement, compétitivité, innovation. Il s’agit d’inculquer dans les têtes de nos jeunes, mais aussi celle des adultes, que l’entreprise, c’est cool, c’est le plaisir, l’épanouissement personnel, l’entraide autour d’un projet et de valeurs communes. L’objectif consiste à formater de futurs salariés dociles, loyaux et acquis au fonctionnement capitaliste de l’entreprise.
Tout cela berce d’illusions nos élèves. Comme s’il suffisait d’être motivé et entreprenant pour réussir et s’épanouir en entreprise. Comme si chacun pouvait devenir PDG, directeur commercial, manager. Comme si la réussite des uns, les gagnants, ne se faisait pas au détriment des autres, ceux qui ne devraient leur échec qu’à leur manque de motivation et d’adhésion à cette grande famille qu’est l’entreprise. C’est leur faire croire que l’entreprise n’est ni un espace de conflictualité, ni un lieu d’exploitation. Quid du travail réel, des conditions de travail, du droit du travail, des conflits sur les salaires, sur les cadences de travail, sur les relations avec la hiérarchie et du rôle des syndicats dans une entreprise ? Les mini- entreprises ont avant tout pour objectif de donner une image positive de l’entreprise, et de l’entrepreneur, terme tellement plus fun que ceux de patron ou d’employeur. Dans cette optique, pas de place pour étudier l’opposition entre le travail et le capital, ni pour d’autres formes d’entreprise telles que les coopératives. Sans être non plus la panacée (comment pourrait-il en être autrement d’îlots de cogestion dans un océan de compétition et de guerre économique ?), la mise en place d’une mini- entreprise coopérative laisserait néanmoins entrevoir une alternative à l’entreprise capitalistique, où la gestion et la production sont soumises à la discussion et au vote des salariés, où le produit du travail est réparti plus équitablement. Mais de cela, les réseaux comme EPA et les multinationales qui les soutiennent n’ont aucun intérêt à en faire la promotion.
Pour la CGT, la mainmise croissante de ces groupes d’intérêts privés constitue une atteinte au service public et au principe de laïcité, entendu au sens de la séparation des groupes d’intérêt privés et de l’Etat. Que nos jeunes aient à subir la dureté du monde de l’entreprise est une chose, mais qu’on les incite par-dessus le marché à adhérer à ce discours est totalement inacceptable. Les cerveaux de nos élèves doivent être disponibles pour la science, la culture, la connaissance objective du monde, l’esprit critique, pas pour une idéologie qui les aliène.