LUTTE GAGNANTE : reconnaissance d’un accident de service pour dépression (CGT éduc’action Cantal)
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Nous reproduisons un article de nos camarades du Cantal. Une bataille exemplaire, à suivre.
La reconnaissance d’un accident de service à caractère psychique est suffisamment rare dans l’Éducation Nationale pour être soulignée.
Les faits sont les suivants : une collègue plonge, à la suite d’un harcèlement téléphonique de la part d’un parent d’élève, dans une dépression sérieuse. Tous les critères de l’accident de service sont rassemblés et a priori l’accident de service ne devrait pas faire problème au regard de la loi. Le syndicat accompagne l’agent dans la rédaction de sa déclaration. Il s’agit de rédiger un récit très circonstancié établissant de manière claire, témoignages à l’appui, la liaison entre l’événement professionnel et l’état pathologique de l’agent. Ce récit met en lumière un enchaînement de faits témoignant de plusieurs dysfonctionnements dans l’organisation de travail : surtravail pendant des mois pour absorber une réforme des programmes, climat d’une classe difficile (désinvestissement scolaire accompagné d’une remise en question de l’autorité des enseignants), défaut de prise en charge efficace par la direction de l’établissement pourtant alertée par l’équipe enseignante. La déclaration est suivie de la tenue d’une commission de réforme qui donne un avis favorable pour la reconnaissance de l’imputabilité au service.
Mais l’administration prononce un premier refus, puis un deuxième, après un premier recours gracieux. La direction des ressources humaines du Rectorat persiste dans sa décision de ne pas suivre l’avis de la commission de réforme, où siègent pourtant des médecins. Le service juridique de l’UNSEN CGT Educ’action accompagne alors l’agent dans une démarche au tribunal administratif sur la base du défaut de motivation des refus de l’employeur. Entre temps, l’agent est vu par un expert médical. Ce dernier a été mandaté par le Rectorat après la commission de réforme et en vue de la tenue d’un Comité Médical. L’administration veut manifestement ranger l’agent dans la case « longue maladie » ou « maladie de longue durée », en attendant l’heure de la retraite (la collègue en effet est proche de la retraite). Elle évitera ainsi d’avoir à reconnaître qu’une enseignante a craqué à cause d’une organisation de travail défaillante.
L’ensemble de la procédure prend du temps : un an et demi s’est écoulé. La collègue est passée à mi traitement depuis déjà plusieurs mois quand l’ouverture de l’instruction du dossier au Tribunal Administratif oblige le Rectorat à retirer ses deux décisions de refus. Problème : si le Recteur de l’Académie retire ses décisions de refus il ne prend pas pour autant une décision de reconnaissance d’accident de service. Deux mois s’écoulent encore et l’agent désormais ne reçoit plus aucun traitement.
Le SDEN Cantal combine alors deux actions pour extorquer la décision de reconnaissance au Rectorat. Il rédige un mémoire complémentaire auprès du Tribunal Administratif dans lequel il réclame une décision à l’employeur, cohérente avec sa décision de retrait de ses refus antérieurs, autrement dit il demande la reconnaissance de l’accident de service. Dans le même temps, le mandaté CHSCT du syndicat dépose un premier droit d’alerte, puis un second deux jours plus tard. Ces deux alertes portent sur les risques moraux, psychologiques et matériels encourus par l’agent par suite du défaut de décision de la part du Rectorat. Nous sommes à la veille des vacances de Noël 2016 (l’accident de service a eu lieu en mars 2015 !). A la rentrée l’agent est informé par la DRH du Rectorat que l’accident de service est reconnu.
C’est une victoire de longue haleine qu’elle peut enfin savourer. La voilà juridiquement sécurisée. L’employeur va devoir opérer le remboursement de tous les salaires non versés ainsi que le remboursement de tous les soins. La note va être salée. Les deux ans qui viennent de s’écouler lui ont permis de prendre la mesure de la férocité de son employeur. Elle a compris que sa carrière exemplaire ne pesait pas lourd à ses yeux. Elle a aussi compris que ce qui importait pour l’employeur c’était de maintenir intacte la belle vitrine de l’Éducation Nationale et que pour y parvenir il était prêt à la sacrifier. Cette situation n’est évidemment pas isolée. Elle est tristement banale.
Dans tous les bahuts en effet « des profs craquent ». Ce sont des accidents de travail, jamais reconnus comme tels. Les collègues disparaissent et sont doucement guidés vers la sortie (mise en inaptitude). Ces pratiques permettent de dissimuler la casse psychique massive impliquée par des organisations de travail marquée par le dégraissage des personnels, l’autoritarisme des directions ou bien encore des réformes pensées par ceux qui ne connaissent pas nos métiers.
L’accompagnement des agents dans la reconnaissance de leur accident de travail a donc un sens collectif évident. La reconnaissance d’un accident de service est une preuve que l’employeur a failli dans son obligation (non dérogatoire et supérieure à son pouvoir de direction) de veiller à la santé de ses agents. Une telle preuve peut ensuite être exploitée pour transformer les organisations de travail responsables.
Établir ces preuves, en élaborant collectivement dans le syndicat des stratégies pour accompagner les collègues dans leur combat pour faire reconnaître leur accident de service : voilà une démarche syndicale susceptible de faire plier l’employeur sur des enjeux collectifs majeurs. Dans cette démarche l’outil du CHSCT (que la CGT y ait des mandatés ou non) est capital et il faut apprendre collectivement à l’utiliser dans toutes ses potentialités (rappelons pour exemple de notre marge de progression dans ce domaine, que la réforme du collège a été mise en œuvre à la rentrée 2016 sans la consultation préalable du CHSCT. C’est pourtant une obligation légale qui aurait pu constituer un levier pour empêcher la concrétisation d’une réforme qui est déjà en train de faire des dégâts, pédagogiques mais surtout sanitaires. Souvenons‐nous de la réforme des filières STI2D et du cortège de drames qui a suivi sa mise en œuvre). Bref il y a du boulot pour les militants, mais quel plaisir de voir un Recteur reculer et plier devant la loi.