Lycées : après le fiasco de Parcoursup, l’acte 2 de la réforme des lycées approche. Une fatalité
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Comme à chaque rentrée scolaire, le ministre fait sa tournée médiatique (France Inter 5/09/18), et devant tous les micros vante à qui veut l’entendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. D’ailleurs, la vision de l’école du ministre, à forte connotation scientiste, n’aurait pas déplu aux auteurs de dystopies tels qu’A.Huxley ou G.Orwell...
Déjà, la novlangue : alors que les personnels sont plus que jamais oubliés et méprisés, l’école de la confiance est en marche. Confiance que le ministre ne partage visiblement pas avec les organisations syndicales, puisque les réformes sont menées à marche forcée sans tenir compte des exigences et des revendications des uns, comme la CGT Educ’action, ou des prières aimables des autres, qui font mine de croire encore aux vertus du dialogue social apaisé.
Ensuite, le déni de la réalité : alors que l’urgence et l’impréparation ont caractérisé l’an dernier la mise au rebut d’Admission Post Bac (APB) et son remplacement en plein hiver par Parcoursup, le fiasco est total. Celles et ceux qui ne voulaient pas comprendre pourquoi les étudiants s’étaient mobilisés si farouchement contre cette réforme, avec un large mouvement d’occupation des facs, en ont été pour leur frais avec le feuilleton de l’été : au final, 170 250 jeunes ont quitté la plateforme, soit 21% des inscrits sur le carreau. On peut réellement parler de génération sacrifiée (L’Humanité 5/09/18). Il n’est pas jusqu’au JT de France 2, pourtant d’ordinaire très révérencieux avec le gouvernement actuel, pour constater l’ampleur des dégâts : sur les quatre lycéens que la rédaction avait décidé de suivre au moment de leur inscription, trois avaient été recalés, se trouvaient sans solution en septembre ou contraints à s’inscrire dans des écoles privés (France 2 6/09/18)...
Ce que la CGT Educ’action a dénoncé depuis le début, appelant à lutter dans les lycées dès février dernier, s’est ainsi révélé encore plus désastreux qu’annoncé : mis en situation de stress par leur position sur liste d’attente, contraints d’en rabattre sur leurs souhaits prioritaires, chacun a pu mesurer les effets de la mise en concurrence généralisée : soit accepter un vœu de secours plutôt que rien, soit attendre jusqu’à la dernière minute dans l’espoir de remonter sur la liste d’attente jusqu’à décrocher le précieux sésame... D’autres, écoeurés, ont préféré filer dans la nature sans laisser de nouvelles... alimentant un nombre absolument inédit de « bacheliers décrocheurs ».
Dans l’Eure comme partout ailleurs, la situation est édifiante, et les victimes sont majoritairement les jeunes des classes populaires. Au lycée Modeste-Leroy d’Évreux, si le taux d’affectation des bacheliers généraux et technologiques atteint 89,3% (24 élèves sans affectation quand même), il tombe à... 37,1% pour les élèves du lycée professionnel. Sur les 132 bacheliers, 44 sont sortis du système et 39 restaient en attente début septembre. Une hécatombe.
Au lycée Aristide-Briand, c’est sans surprise au sein des sections STMG (Management et Gestion) qu’on compte le plus grand nombre de bacheliers laissés sur le carreau par les nouvelles modalités d’affectation. L’effet boomerang est aussi terrible de l’autre côté, au niveau les formations supérieures du lycée : en Maths-Sup, la section qui comptait plus de 40 élèves l’an passé est désormais en péril, avec seulement 23 affectés en début d’année.
Les effets psychologiques recherchés sont là et le message est passé : à 18 ans, « le jeune » sait désormais que dans la société française de la start up nation, il est trié et classé par rapport à tous les autres de sa classe d’âge... et qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. Dans cette optique, écraser les autres sera sans doute le moyen le plus sûr de se faire une place au soleil...
Figurant parmi les « élus », il pourra aussi remercier ses parents d’avoir fait le bon choix de résidence : les étudiants des académies de Créteil et Versailles se sont vus interdire l’accès aux universités parisiennes, par la magie des algorithmes, soi-disant afin de préserver les facs de banlieue de la désertion... et renforçant par la même les effets d’assignation et de ségrégation spatiale.
Et maintenant, on arrête ? Non, on se félicite et on fait comme si de rien n’était. Mieux, JM Blanquer, niant que les objectifs de la réforme du lycée sont avant tout d’ordre comptables, entonne le refrain de la « liberté » des élèves de 2nde, qui l’an prochain pourront prendre trois enseignements de spécialités (de 4h/semaine) en première, qui se réduiront à deux (6h/sem) en terminale. Fin des filières, bonheur pour tous... sauf que d’ores et déjà il a été contraint d’admettre que de nombreuses spécialités ou combinaisons ne seraient pas proposées dans tous les lycées. Ça tombe bien, puisqu’il s’agit désormais de renforcer l’évaluation à tous les étages pour mieux les mettre en concurrence.
Les résultats concrets de cette réforme ? Moins d’heures et surtout moins de matières enseignées à chaque élève. Cette année, la concurrence entre les disciplines, obligées d’entrer dans la lutte pour la survie – des postes, de sa légitimité – pour attirer les élèves, sera féroce. Exemple : avec la fin de la filière ES, les Sciences Economiques et Sociales (matière dérangeante, remplie de profs qui osent encore faire réfléchir les élèves avec les outils de la sociologie) se trouvent marginalisées et surtout n’ont plus aucune garantie de recruter un vivier d’élève conséquent. En effet, chaque « spécialité » n’aura de valeur qu’à l’aune de ce qu’elle peut espérer rapporter... sur le marché des études supérieures, via Parcoursup. Bien d’autres disciplines devenues optionnelles car retirées du tronc commun ont donc du soucis à se faire.
Les clés de la réforme sont donc identifiées : orienter précocement les élèves, limiter les ambitions des jeunes issus des classes populaires, trier dès le plus jeune âge. Parallèlement, limiter drastiquement le nombre d’enseignants, en particulier ceux des disciplines des sciences humaines et sociales.
Pourtant, tout semble encore bien calme dans les salles des professeurs de lycées. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : méconnaissance de la réforme (on imagine que seules les épreuves du bac sont concernées), absence de prise de conscience du danger (on pense que sa matière sera évidemment choisie comme enseignement de spécialité par la majorité des élèves), ou sentiment d’impuissance à changer le cours des choses (la réforme est « déjà en place » d’après le ministre... sauf que depuis la rentrée, rien n’a encore changé en seconde).
Force est également de constater que les organisations syndicales majoritaires dans les LGT n’ont pas fait montre d’une grande volonté de lutter contre le projet de réforme lors de sa parution, et que les contre-propositions se font rares.
À la fin de l’année scolaire, une nouvelle cohorte de lycéens risque donc d’être malaxée par Parcoursup. À la rentrée 2019, le « Big Bang » de la réforme pourrait laisser bien des enseignants et des disciplines sur la touche. La CGT Educ’action, dont l’audience s’accroît pas à pas, doit encore grandir et faire passer son message dans les salles des professeurs des Lycées Généraux et Technologique, afin qu’une culture de lutte et de contre-offensive se mette en place plus rapidement. Nous avons des arguments à faire valoir, à l’image des victoires locales que nous obtenons chaque année dans les lycées pro et généraux, les écoles et les collèges pour sauver les postes ou réclamer les moyens nécessaires pour enseigner. Ces victoires obtenues par la mobilisation de l’ensemble des personnels doivent ouvrir la voie à des luttes globales pour résister à l’offensive qui menace les lycées comme l’ensemble des services publics.