Bilan de quatre années de combats au CHSCT de Seine-Maritime
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Déclaration lue en séance du 11 octobre 2018
Nous abordons aujourd’hui la dernière séance ordinaire de la mandature commencée à l’hiver 2015 et qui va s’achever prochainement avec les élections professionnelles de novembre-décembre. Aussi souhaitons-nous en profiter pour tirer un bilan de ces presque quatre années d’action, de combat et d’observations sur cette instance. Notre déclaration sera donc dense mais ces propos liminaires ne nous semblent pas inutiles.
Petit retour en arrière…
Les débuts de notre mandat en 2015 furent d’abord ceux de la découverte, les CHSCT étant de création fort récente dans l’Education nationale (2011) et la CGT éduc’action, petit syndicat dans l’Education nationale mais principale force militante au niveau interprofessionnel, y obtient pour la première fois un siège. Et très rapidement, une réalité s’impose. Alors que la question des conditions de travail nous semble tout à fait prioritaire, voici une instance qui ressemble à une coquille vide !
Puis vient très rapidement le temps des combats à mener. Guidés par la défense des droits collectifs des personnels, notre organisation syndicale s’emploie à rappeler sans cesse la réglementation et à exiger son application. Nous n’avons pas la prétention de ne jamais nous être trompés, bien sûr, ayant souvent dû nous débrouiller seuls, faute de formation dispensée par l’employeur, et nous familiariser avec une abondante réglementation, aidés en cela par l’expertise de terrain de militants de notre confédération CGT.
Très rapidement, nous nous heurtons également à l’hostilité de la DSDEN et du rectorat, habitués à gérer de manière opaque et désireux d’écarter les organisations syndicales, en particulier la CGT, de leur pouvoir de contrôle sur l’action de l’Administration.
Ainsi, de 2015 à 2017, le fonctionnement du CHSCT est bloqué, quasiment rien n’avance : aucune enquête, peu ou pas de réponses apportées en séances, des avis votés en CHSCT jamais suivis d’effet, des ordres du jour censurés, l’absence d’informations, de documents préparatoires, etc. Détaillons un peu.
Enquêtes du CHSCT
Il en est ainsi en matière d’enquête du CHSCT. Parmi les prérogatives du CHSCT, le pouvoir d’enquête nous semble constituer un levier d’action particulièrement intéressant en faveur de la santé de nos collègues. C’est la raison pour laquelle nous avons rédigé des droits d’alerte Danger Grave et Imminent, plus d’une dizaine au total, tous justifiés (agression physique à l’EREA Dolto, risques de suicide à l’école Condorcet, accident de travail en lien avec des suspicions de harcèlement au collège Branly, violence du climat scolaire aux lycées Lavoisier et Les bruyères), quand nous avions un motif raisonnable de penser que ces situations de travail fortement dégradées présentaient un Danger Grave et Imminent pour la vie ou la santé des agents. Systématiquement, ces alertes sont restées lettre morte au niveau du CHSCT, les enquêtes étant non seulement refusées mais ne recevant même aucune réponse écrite de la part de la DSDEN. Nous avons donc pris nos responsabilités et saisi le tribunal administratif afin de faire respecter le droit, d’autant que la tentative d’immolation par le feu d’un enseignant du lycée Val de Seine nous a bouleversés et poussés à agir. La procédure est en cours et nous espérons une issue positive à l’issue du jugement qui sera rendu. Les enquêtes dans le cadre d’accident du travail sont également refusées, comme celle votée en séance et liée au suicide d’un agent au lycée d’Offranville.
Par ailleurs, la DSDEN et le rectorat tentent de se justifier en indiquant qu’ils ont procédé à de prétendues enquêtes. Problème : non seulement ces enquêtes n’ont rien à voir avec des enquêtes réglementaires du CHSCT car il s’agit tour à tour d’enquêtes administratives ou de diagnostics mais de plus elles visent à contourner les prérogatives du CHSCT. Manière pour l’Administration d’empêcher les organisations syndicales de faire leur travail de prévention et de contrôler l’action de l’employeur, qui plus est en refusant systématiquement de leur transmettre ces enquêtes-maison.
Transmission d’information aux membres du CHSCT
Un autre point de désaccord majeur porte sur le manque patent d’informations communiquées aux membres du CHSCT, y compris quand il s’agit de situations de travail particulièrement dégradées, comme ce fut le cas pour toutes les alertes DGI précédemment mentionnées ou entre autres exemples, la fermeture provisoire du collège du Houlme ou la pollution des sols dans les écoles et établissements du Petit-Quevilly. Sur les accidents de service et les maladies professionnelles, les déclarations ne nous parviennent toujours pas de manière régulière et les informations sont incomplètes, comme celles ayant trait à l’identité des agents.
Concernant les ordres du jour et leur préparation, les documents ne nous parviennent pour ainsi dire jamais en temps et en heure, comme pour cette séance où nous avons reçu la plupart des documents hier, voire pas du tout. Les articles 61 et 63 du décret 82-453 ne sont toujours pas appliqués : les rapports de la médecine de prévention et celui sur le bilan
de la situation générale sur la santé et les conditions de travail n’ont de rapport que le nom et n’apportent pour ainsi dire rien pour améliorer la santé au travail de nos collègues. Les fiches des registres SST et DGI ne remontent jamais au CHSCT, sauf deux exceptions toutes récentes.
Visites du CHSCT et leur suivi
Concernant les visites du CHSCT, celles-ci sont certes très intéressantes mais là encore, il a fallu se battre pour imposer des choix pertinents, comme celles à l’école Molière ou à l’EREA Dolto. L’autre difficulté posée est celle de la rédaction des compte-rendus qui repose exclusivement sur les organisations syndicales. Le temps accordé par l’Administration est tout à fait insuffisant puisque seule une demi-journée est attribuée, malgré l’avis voté en CHSCT réclamant davantage de temps pour effectuer ce travail long, technique et collectif, qui se transforme en pénibles séances de télétravail à distance, par échange de mails. Du coup, la validation de ces compte-rendus intervient souvent bien trop tard mais pire que cela, le suivi des synthèses de ces visites et des recommandations est pour l’instant tout à fait inefficace.
Moyens et rôle des acteurs de prévention
Concernant les moyens et rôle des acteurs de prévention, nous touchons là à un point crucial. Pour le département, un seul personnel semble avoir pour mission de travailler sur la santé, la sécurité et les conditions de travail en Seine-Maritime, à savoir M. le conseiller de prévention départemental. C’est bien trop peu. Dans les écoles et établissements, aucune décharge n’est attribuée pour les missions liées à la sécurité et les conditions de travail. A la médecine de prévention, seuls 1,6 ETP (équivalent temps plein) de postes de médecins y sont consacrés pour tous les personnels de l’académie. Une misère. Les conséquences sur le CHSCT sont la quasi-impossibilité pour les médecins de prévention d’assister aux séances du CHSCT, hélas !
Plus globalement, l’information et la formation des personnels en la matière est notoirement insuffisante, en particulier pour les personnels d’encadrement qui pourraient contribuer à transmettre une culture de la santé et de la sécurité au travail. Beaucoup d’entre eux ignorent par exemple ce que sont les registres obligatoires ou les DUER.
Enfin, en guise de bilan moral, nous avons souvent été heurtés par nombre de propos tenus dans cette instance, en particulier quand il s’agit de minimiser la gravité de certains faits (comme nier les tentatives de suicide !), de refuser de dénoncer les propos sexistes d’un chef d’établissement, de nier la souffrance au travail de nos collègues (les enseignants de l’école Jules Guesde qui se lamenteraient) ou de justifier la mutation dans l’intérêt du service d’un collègue ayant tenté de s’immoler par le feu.
Mais depuis peu, les choses semblent changer et progresser un peu. Les récentes séances du 13 septembre et du groupe de travail du 2 octobre furent davantage constructives et les échanges plus cordiaux. Surtout, deux faits marquent une indéniable avancée, les deux étant liés. Après avoir refusé à plusieurs reprises la présence de l’inspection du travail en séance, alors qu’un désaccord sérieux persistait sur le fonctionnement du CHSCT, la DSDEN a enfin accepté d’inviter l’inspectrice du travail à la séance de ce jour. Puis, le 27 septembre, après que la CGT a déposé une alerte DGI au sujet de l’école Saint-Exupéry la veille, madame la présidente du CHSCT accepte enfin, pour la première fois dans l’académie, de diligenter une enquête paritaire du CHSCT. Cette enquête a débuté le 5 octobre et a commencé à produire ses effets pour protéger les personnels en situation de danger.
Depuis plusieurs séances également, les ordres du jour ne posent quasiment plus problème puisque grâce au rappel de la réglementation et au travail consciencieux du secrétaire du CHSCT que nous remercions ici, les organisations syndicales peuvent inscrire à l’ordre du jour tous les points qu’il leur semble pertinent de traiter. Il faut d’ailleurs se féliciter du travail intersyndical unitaire que nous sommes parvenus à mener au CHSCT avec les membres de la FSU et de FO. Sans cela, les lignes n’auraient pas pu commencer à bouger en faveur des personnels et c’est dans cette voie qu’il nous faut poursuivre.
Concluons, à présent. Militants par choix dans une confédération interprofessionnelle, nous ne pouvons terminer en évoquant les dangers graves et imminents posés par la politique de ce gouvernement en défaveur du monde du travail. En effet, Emmanuel Macron poursuit et aggrave la destruction méthodique des conquis sociaux des travailleurs et c’est leur santé qui va en pâtir encore plus. Ainsi, le rapport Lecoq, du nom d’une députée LREM, attaque la médecine du travail, le service de prévention des CARSAT, l’Inspection du Travail, la protection particulière des jeunes. Le but est de rendre invisible les risques du travail, de dépénaliser les infractions et d’éviter toute contrainte juridique. De plus, après avoir sévèrement attaqué le Code du travail pour se plier aux intérêts du patronat, les CHSCT de la fonction publique sont menacés à court terme de disparition/fusion.
A contrario, la CGT plaide dans l’éducation pour des CHSCT bien plus nombreux, par exemple au niveau de chaque établissement. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit juste de rappeler une évidence si l’on veut vraiment améliorer la santé au travail : un vrai CHSCT par collège, par lycée, par circonscription minimum pour les écoles. Il semble évident que le périmètre départemental ne permet pas au CHSCT et aux 14 membres représentant les personnels de faire un vrai travail de terrain et d’être au plus près des besoins de nos quelques 20000 collègues du département ! Il conviendrait également de convoquer davantage de séances du CHSCT plutôt que les trois réglementaires, pour un vrai suivi en matière de santé et de conditions de travail, et de vraies séances plutôt que des groupes de travail aux contours plus flous.
Pour terminer, notre organisation syndicale tient à rappeler son attachement, aux côtés de tous et celles qui partagent les mêmes combats, à quelques principes en apparence simples mais si difficiles à faire appliquer : la défense de nos droits collectifs, la recherche de la vérité, l’unité des travailleurs. Défendre ses droits et en conquérir de nouveaux en matière de santé, surtout dans un contexte de forte dégradation de l’environnement, d’un côté, et d’un autre côté, de pressions croissantes sur les épaules de salariés sommés d’être toujours plus productifs, plus motivés et plus innovants. Rechercher la vérité : oui, il est de notre devoir de dire, écrire, s’indigner, publier, faire savoir, dénoncer la réalité du monde du travail et c’est notre rôle de membre du CHSCT que de la faire quand il en va du bien-être de nos collègues. Construire l’unité des travailleurs car face à la toute-puissance des marchés, les salariés doivent resserrer les rangs et se battre collectivement pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Avec toujours un même objectif, celui qui conclut chacune de nos déclarations au CHSCT : ne pas perdre sa vie à la gagner !