Lycées Maupassant-Descartes : les collègues renouent avec l’action collective, et ça paye
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Chacun a encore forcément en tête le contexte terrible de la rentrée du 2 novembre 2020. L’attentat contre Samuel Paty a bouleversé toute la profession et à Fécamp, une manifestation réunit environ 1000 personnes le samedi 24 octobre. A cela s’ajoute l’inquiétante recrudescence des cas de Covid dans la population et la perspective de la fameuse deuxième vague épidémique.
Dans ces conditions, la plupart des collègues sont donc à la fois angoissés et en colère à l’idée de reprendre la travail. Il faut dire que Blanquer vient de trahir sa promesse d’une matinée banalisée et cadrée nationalement pour faire suite à l’attentat islamiste. De plus, face à l’épidémie de Covid, 2000 personnes, adultes et élèves, fréquentant quotidiennement la cité scolaire vont devoir s’entasser dans des bâtiments structurellement surdensifiés et prendre des risques pour la santé de tous.tes. Inacceptable.
Déterminée à ne pas se laisser faire, la section syndicale CGT lance la discussion sur les boîtes mail académiques du lycée, trois jours avant la rentrée. S’ensuit une avalanche de mails de la part des collègues qui expriment leur indignation face l’irresponsabilité et aux revirements de l’Administration.
Lundi 2 novembre, à 7h30, une AG se tient en salle des professeurs, à l’initiative de la CGT éduc’action, et réunit plusieurs dizaines de collègues. Que fait-on, se demandent les collègues ? La discussion s’engage, les collègues hésitent, partagés entre volonté de marquer le coup et scrupules à l’idée de ne pas prendre leurs élèves. Finalement, la grande majorité des présents décident de débrayer et vont à la rencontre du chef d’établissement. S’engage alors une heure de discussion assez tendue, point de départ de deux jours de réunions et, disons-le, de négociations au cours desquelles les collègues vont collectivement tirer profit d’un rapport de forces qui leur est favorable : assemblée générale plénière le lundi soir avec banalisation de la dernière heure de cours mais dialogue de sourds face au blocage du chef d’établissement ; convocation d’une réunion en urgence le lendemain matin entre les élus au CA et la direction de l’établissement, sous grosse pression et affaiblie par la réunion du lundi soir ; et surtout, banalisation du mercredi matin, arrachée la veille par la section CGT et les élus au CA, pour proposer un autre fonctionnement de l’établissement face à la crise sanitaire.
Tout se joue au cours de cette matinée du mercredi matin, au cours de laquelle les collègues s’organisent collectivement et imposent à la direction un fonctionnement plus adapté à la situation sanitaire, dans l’intérêt de tous.tes, adultes et élèves : réduction de moitié du nombre d’élèves présents au lycée ; mise en place d’une alternance, avec présence en cours une semaine sur deux et travail à la maison l’autre semaine (la semaine s’étalant du jeudi au mercredi midi pour chaque élève et non du lundi au samedi, ce qui permet ainsi que chaque élève vienne au lycée chaque semaine). Concernant le risque de double travail (cours en présentiel et distanciel), les collègues décident de privilégier les supports de travail traditionnels, photocopies et manuels, charge à chaque enseignant de donner le travail à effectuer pour la semaine où chaque élève travaillera en autonomie à la maison. Bref, le bon sens l’emporte et cela permet d’éviter un reconfinement total. Finalement, vendredi 6 novembre, le rectorat fait savoir à la direction du lycée que le projet est accepté et que la nouvelle organisation se met en place dès le 9 novembre.
A l’issue de ces cinq jours de mobilisation, les collègues sont soulagés et constatent que leur action a porté ses fruits. Cela permet également aux PTL (personnels techniques des locaux) de réduire la surcharge de travail qu’ils subissent, liée à la désinfection des locaux. Dans la section syndicale CGT, les militants ne boudent pas leur plaisir d’avoir
contribué à mobiliser leurs collègues : les travailleurs de ce lycée ont enfin redressé la tête et ça faisait longtemps.
Certes, d’autres facteurs, indépendants de l’action des collègues de Fécamp, ont joué un rôle important, comme cette vidéo d’une foule d’élèves se pressant dans les locaux du lycée le 2 novembre, prise par un élève, largement relayée sur les réseaux sociaux et qui a mis une forte pression sur la direction du lycée, les élus locaux et le Rectorat. Le contexte national a joué également puisque côté enseignant, des mobilisations locales (grève, droit de retrait, débrayages) ont eu lieu sur tout le territoire, et côté élèves, les mobilisations lycéennes commençaient à prendre de l’ampleur et à inquiéter le gouvernement.
Bien sûr, la situation est loin d’être parfaite et de nombreuses situations constituent toujours des facteurs de contamination potentiels (repas en collectivité, cours d’EPS, transports scolaires, pause cigarette, aération insuffisante des locaux, élèves ou adultes enlevant le masque, etc.). Mais les raisons d’être satisfaits ne manquent pas, comme celle d’avoir vu les collègues se prendre en main collectivement, de construire en commun leurs revendications, d’avoir surmonté leurs divisions. Sans compter la saveur particulière du mercredi matin, celle d’une atmosphère d’autogestion, de démocratie directe qui montre à tous.tes que lorsque les salariés se prennent en main, ils peuvent réussir à s’imposer face à une Administration qui a pour habitude de fonctionner de manière verticale, autoritaire et arbitraire.
Ajoutons à cela le bonheur pour les collègues, en particulier ceux du LGT habitués aux classes de 35 élèves, de faire cours systématiquement à des classes d’une quinzaine d’élèves, voire moins. Cela aussi, ce n’est pas anodin, surtout si ça peut donner des idées aux collègues et l’envie de se battre pour mener la bagarre, cruciale, de la réduction des effectifs par classe... Le combat continue.